A
l'heure où les lois qui dirigent nos vies permettent à
des entreprises comme Monsanto de faire main basse sur la nourriture mondiale, où
les raisons du commerce prennent le pas sur les raisons écologiques
et humanistes,
où les banques sont devenues les vraies maîtresses
du monde en toute impunité, quand ceux qui nous gouvernent
semblent être devenus des parangons de non-sens et qu'ils
mènent le monde à sa perte au nom de leurs intérêts
personnels, il semblerait que le salut de notre civilisation passe
par la désobéissance.
Gandhi
était désobéissant
La
révolution française était une désobéissance
Un
agriculteur qui resème lui-même des graines dans son
champ est un désobéissant , s'il en donne à
son voisin c'est encore pire.
Martin
Luther King était un désobéissant
Mai
68 était un acte désobéissant
Le
féminisme est issu d'actes désobéissants
La
résistance est une désobéissance
Se
battre pour le droit d'expression dans une dictature, c'est désobéir.
Les
policiers, soldats, combattant qui tabassent et maltraitent des
citoyens de par le monde obéissent
Les
soldats d'Hitler ont obéit
Ceux
qui ont dénoncé des juifs en fuite ont obéi
Le
pilote qui a lancé la bombe sur Nagazaki a obéit
Les
actes humanistes de ce monde ne naissent pas de l'obéissance,
mais de la responsabilité. Savoir dire « non »
à bon escient est une arme pour rendre le monde meilleur.
Alors
je plaide, chers parents, pour que l'on arrête de s'obnubiler à
vouloir apprendre à nos enfants à obéir,
et pour qu'on leur apprenne à être responsables.
"Margot, n'obéit
jamais..."
...Je n'attends pas de toi que tu obéisses, j'attends de toi que tu sois responsable dans ta vie, j'attends de toi que tu mesure l'impact de tes comportement, que tu regardes quand tu fais quelque chose ce que ça fait sur l'autre. Parce que la responsabilité c'est le contraire de l'obéissance".
Cette
citation extraite d'une conférence d'Isabelle Filliozat
que je vous recommande, m'a vraiment frappé.
L'obéissance
des enfants semble être LA clef de l'éducation
classique, son pilier, voire son but ultime : se faire obéir
de ses enfants. Un bon enfant est un enfant sage, qui obéit à
ce qu'on lui dit. C'est même la qualité première
d'un enfant aux yeux de bien des adultes.
Alors
comment imaginer qu'un parent puisse volontairement et distinctement
dire à son enfant : « N'obéit
jamais » ????
Je
crois que par cette seule phrase, Filliozat cristallise le gouffre
qui sépare l'éducation classique de l'éducation "bienveillante". Ce gouffre qui nourrit l'incompréhension et la
méfiance, voire le mépris des personnes qui n'y sont
pas sensibilisées. Ce gouffre qui est difficile à
franchir : il faut déconstruire énormément
d'idées reçues qui forment notre culture éducative
et reconstruire d'autres idées très inhabituelles pour
parvenir à dire ces mots sans mentir. Pour parvenir à
lâcher suffisamment prise, à relâcher suffisamment
son emprise pour ne pas se fixer comme objectif l'obéissance
de l'enfant.
Essayons,
voulez-vous ?
Bon
déjà, qu'est-ce que l'obéissance ? Hop, je
file z'yeuter un dictionnaire.
« Obéir :
se soumettre à la volonté de quelqu'un, à un
règlement »
Bon
alors si vous commencez à acquérir une sensibilité
propre à la parentalité positive, déjà
« se soumettre » c'est le genre de propos assez
violent qui doit vous picoter un peu.
Le
dictionnaire m'apporte une nuance assez drôle :
« Obéissance passive : soumission aveugle aux
ordres reçus », mais ne dit pas ce qu'est
l'obéissance active. Je lui donnerais moi-même la
définition de « Soumission à des ordres que
l'on estime légitimes, justifiés ». Ce qui
sous-entend le libre arbitre, l'intervention de la conscience
de la personne et donc, d'une certaine façon de la
responsabilité.
Qu'est-ce
qu'être « responsable » ?
« Qui
est réfléchi, qui pèse les conséquences
de ses actes »
Aaaaaah !
Ben voilà une définition qu'elle donne envie !
Parce
que, la grande question de l'éducation est : vers quoi
voulons-nous que nos enfants tendent ? Vers la responsabilité
non ?
Alors,
je vous le demande : comment veut-on faire des adultes
responsables, quand nous nous efforçons
de faire des enfants obéissants ?
Ce
que nous voulons c'est que nos enfants puissent prendre leur vie en
main, qu'il ne se laissent pas marcher sur les pieds, qu'il aient
confiance en eux tout en ayant conscience que leur comportement a un
impact sur la vie des autres. Bon, alors pourquoi ne pas commencer
par là ? Plutôt que d'attendre d'eux qu'ils fassent
strictement ce qu'on leur dit pour le simple motif que la directive
vient de nous ?
Quand
on dit « J'ai dit non, donc c'est non ! »,
« Tu m'obéis et puis c'est tout !», « On
ne discute pas ! », qu'est-ce qu'on fait ? On
offre aucune initiative à l'enfant, on le rend passif, on le
diminue, on lui fait comprendre que la seule personne qui sait ce
qu'il convient de faire c'est le parent. La seule attitude que l'on
attend de lui c'est celle d'un robot : on appuie sur un bouton
et il exécute. Et voilà qu'à l'adolescence, on
se met à dire à l'enfant : « Mais
enfin, ce n'est pas à moi de te dire tout ce que tu dois
faire !», « Eh didonc, tu es grand maintenant,
c'est à toi d'agir, de prendre tes responsabilités ! »,
sauf qu'on ne lui a jamais permis d'apprendre ça avant.
La
peur de lâcher la bride
Pourquoi
s'accroche-t-on à ce concept d'obéissance ? Par
peur, j'en suis convaincue. Par peur que si l'on impose pas sa
volonté sur celle de l'enfant, cette dernière va
devenir envahissante et incontrôlable.
Le
problème c'est que le moyen finit par devenir la fin.
A
la base, l'obéissance que l'on attend des enfants doit
permettre de les éduquer, c'est à dire de leur
apprendre la voie à suivre, et de régler les conflits
de la maison. Le parent se pose en arbitre du bien et du mal, en juge
des conflits et réglemente en demandant à ce que ses
décisions soient suivies pour le bien commun.
Mais
à force, on finit par vouloir que les enfants obéissent,
point. En fait, il ne s'agit plus de vouloir que de l'obéissance
naisse l'éducation, mais que de l'éducation
naisse l'obéissance. On apprend, on éduque nos aux
enfants à obéir. Et ça c'est totalement pas la même idée !
Pourquoi ?
D'une part parce que l'obéissance « passive »
ne vient pas spontanément aux enfants, pas plus qu'aux adultes
d'ailleurs. Au contraire, ils ressentent très tôt le
besoin d'affirmer leur indépendance. Ainsi, l'obéissance
ne peut pas être un moyen mais devient un objectif.
Un
autre élément qui devrait j'en suis sûre vous
heurter, je l'ai trouvé dans ma lecture du livre de Carlos
Gonzalez, « Serre- moi fort ».
3ème
partie, « Les théories que je ne partage pas »,
premier chapitre : « La puériculture
fasciste ».
BAAAAAMMMM !
Ça commence fort ! C'est presque une oxymore tellement
les termes paraissent antinomiques. Là on se dit qu'il n'y va
pas avec le dos de la cuillère et que personne, c'est évident,
ne partage ces théories.
Vraiment ?
L'envie
me prendrait bien de recopier intégralement le chapitre de
Gonzalez mais bien sûr, je ne le peux (je vous renvoie donc à
son livre). Je résumerai en disant que selon lui, les théories
qui ont persisté après la chute des grandes
dictatures occidentales sont les suivantes :
-
Ne pas se laisser attendrir par les pleurs (ou les vomissements, si
si !) d'un enfant car ils sont forcément factices.
-
Laisser l'enfant dormir dans son lit et le séparer de sa mère
la nuit dès la naissance
-
Ne donner la tétée à l'enfant qu'à heure
fixe et à espaces réguliers
-
Brider, dès le plus jeune âge, toute forme de velléité
de l'enfant sous peine qu'il prenne de mauvaises habitudes et ne
devienne incontrôlable.
-
Tout cela doit être fait pour son bien et pour le votre.
Ça
vous dit quelque chose ? Vous avez déjà entendu ça
non ?
Je
reprend ici une citation intéressante :
« L’État
véritable est celui qui recherche le bonheur de ses sujets,
même si pour cela il doit parfois s'imposer par la force, se
montrer dur, rigoureux ». Accepterions-nous que notre président nous
dise "Vous n'aimez pas qu'on fasse comme ça, mais on va le faire quand
même parce que c'est pour votre bien." (certains diront que c'est comme
ça que ça fonctionne depuis longtemps...) ? On aurait plutôt envie de
répondre que nous seuls savons ce qui est bon pour nous et que le rôle
de l'Etat c'est d'écouter la protestation du peuple.
Remplaçons
maintenant quelques termes :
«Le
parent véritable est celui qui recherche le bonheur de ses
enfants, même si pour cela il doit parfois s'imposer par la
force, se montrer dur, rigoureux ».
Une
maxime maintes et maintes fois entendue non ? C'est presque une
évidence pour certains parents, et peu de gens la remettraient en question.
Cette
citation est extraite de l'ouvrage d'un professeur en pédiatrie,
Rafael Ramos : franquiste.
Et pourquoi la première phrase ne fonctionne pas, alors que la deuxième oui, bien qu'elles véhiculent toutes deux la même théorie ?
Et pourquoi la première phrase ne fonctionne pas, alors que la deuxième oui, bien qu'elles véhiculent toutes deux la même théorie ?
Si
Gonzalez parle de puériculture fasciste, c'est parce que selon
un ouvrage d'Alice Miller, ces théories ont été
utilisées par les grandes dictatures occidentales dans le but
de préparer les citoyens, dès leur plus jeune âge,
à une obéissance civile totale, quelque soit la laideur
des ordres donnés*. Ignobles mais pas idiots, les penseurs de
cette époque savaient très bien que le citoyen se
formate au berceau, au sein de sa propre famille, et qu'il n'est pas
de meilleur formateur que celui auquel on voue un amour inaliénable:
le parent.
Je
ne résiste pas à l'envie de vous recopier ici cette
citation, toujours inspirée de ce chapitre de Gonzalez,
tellement elle est à tomber :
«
Il est parfaitement naturel que cette âme infantile cherche
à n'en faire qu'à sa tête et, si on n'agit pas
dûment dans les deux premières années, il sera
difficile plus tard d'atteindre l'objectif. Ces deux premières
années offrent, entre autres, l'avantage que nous pouvons user
de violence et de pression. Avec le temps, les enfants oublient tout
ce qu'ils ont vécu dans leur prime enfance. Si à cette
étape, nous pouvons les dépouiller de leur volonté,
ils ne se rappelleront jamais qu'ils en ont eu une un jour et,
précisément pour cette raison, la sévérité
à laquelle il peut être nécessaire de recourir
n'aura aucune conséquence grave. (J. Sulzer, 1748, cité
par Miller, cité par Gonzalez) »
*
l'objectif final de ces théories comme moyen de formater le
citoyen, étant « non déclaré »
Gonzalez n'étaye pas son raisonnement sur des faits prouvés.
Ceci dit, même si l'on préfère admettre que ce
formatage n'était pas l'objectif recherché, il en fut
selon moi très certainement une conséquence avérée.
Aussi cette théorie mérite-t-elle amplement réflexion.
Le
glissement vers la domination
Ça
vous paraît abusé ? Pourtant dans le fond, que dit
Sulzer ? Il dit pareil que les défenseurs de la fessée,
des punitions, de ceux qui pensent que la « mauvaise »
partie de l'enfant doit être réprimée avec la
plus stricte autorité ; tous ceux qui vous tiennent des
discours en faveur de la répression de la nature de l'enfant
et qui vous diront que c'est pour son bien (et ils sont nombreux,
majoritaires même). Sauf qu'à travers cette citation,
l'objectif de domination sur l'enfant est clairement exprimée.
C'est
à ce niveau que le jeu est biaisé : les dictatures
ont disparues, leurs intentions réprimées, mais la
méthode est restée. Et ses conséquences aussi.
Avouons-le,
il est tentant de vouloir chercher l'obéissance passive de
l'enfant parce qu'elle procure un sentiment de domination
confortable. Ce n'est pas forcément un sentiment malsain né
de l'envie de sentir tout-puissant. Cela donne un sentiment de
contrôle, un contrôle qui est rassurant. Être
parent n'est pas facile. Ça l'est encore moins quand nous
sommes noyés sous les remontrances et les conseils de
tous poils, quand nous sommes montrés du doigt dans les lieux
publics ou au sein de nos propres familles. Beaucoup de parents
pensent qu'il est plus facile de punir que de passer du temps à
tergiverser avec leurs enfants, ne serait-ce que parce qu'ils n'ont
« pas le temps ».
C'est
aussi dû à un héritage culturel qui veut que la
relation parent-enfant soit basée sur des rapport
dominants/dominés, qui donnent nécessairement lieu à
des rapports de force, et donc à une relation gagnant
/perdant. Si le parent gagne, forcément l'enfant perd et
inversement. Or personne n'aime perdre.
Il
y a aussi je pense, une raison moins avouable, mais qui peut tous
nous toucher : d'apprécier d'exercer un certain pouvoir sur une
personne, dans un monde où nous avons le sentiment constant
d'occuper la place de celui qui est contrôlé : par
son patron, par les politiques, par les institutions de tout poils,
par les lois, par son voisin parfois.
Le
fonctionnement de nos familles porte en graine le fonctionnement de
notre société, ces rapports de force, nous les vivons
constamment, et nous sommes rarement du côté du gagnant.
L’état de faiblesse de nos enfants, comme le dit Sulzer,
permet d'exercer une domination facile. Alors ils prennent pour les
autres, et perpétuent le système ; parce qu'ayant
été eux-mêmes réprimés, ils
réprimeront : pour justifier ce qu'ils ont vécu et
en étant persuadés que c'est la bonne marche à
suivre.
Mais
est-ce que ça fonctionne ? à mon sens : NON.
-
Parce que ce qui touche nos enfants, nous touche aussi. En leur
faisant du mal, nous nous faisons du mal. N'avez-vous jamais entendu
ou prononcé : « Allez, ne m'oblige pas à
te punir. » ? Pourquoi dit-on des choses pareilles ?
Parce qu'on a pas envie de le faire : de crier, de menacer,
d'enfermer dans la chambre, de se battre en permanence avec nos
enfants.
-
Parce que comme je l'ai dit, notre nature n'est pas de nous écraser,
c'est donc un combat permanent qui vous attend.
-
Parce que ce n'est pas vraiment ce que nous voulons. Il existe des
familles ou ce système fonctionne. Les enfants font tout ce
qu'on leur dit, ne crient pas, ne courent pas, son polis, propres,
bien coiffés, ne font des choses que lorsqu'on les y autorise.
Au début elles suscitent l'émerveillement, mais cet
émerveillement laisse souvent assez vite place à un
sentiment de malaise : ces enfants, c'est un peu comme si on les
avait éteint. Parce qu'en réalité nous savons
que les « bêtises » font partie de la vie
de nos enfants. Et parce que d'avoir des enfants semblables à
des chiens bien dressés n'est pas notre souhait. Nous voulons
des individus épanouis.
Alors
brisons le cercle.
Comment ?
Je vous en parle dans un deuxième article. Celui-ci était
déjà bien long.;-)
Ou vous pouvez aller directement à la partie 3 - éclaircissements.
Ou vous pouvez aller directement à la partie 3 - éclaircissements.
J'ai beaucoup aimé votre comparatif sur l'obéissance "enfant / adulte / être humain / société". Je ne l'avais pas fait sur ce thème, mais souvent quand on me dit "je comprends pas, il veut pas faire ca blablabla", je réponds "et toi, tu serais au travail ou à la maison, et ta collègue ou ton frère t'oblige à faire ca, tu réagis comment ?"... Je trouve que les gens oublient vite que les enfants sont des êtres humains, qu'ils ont des émotions etc. Alors, oui, nous, les adultes, on peut expliquer ses problèmes avec des mots, mais les enfants, bah... pas encore tout à fait ^^
RépondreSupprimerMerci pour cette super série d'articles :-)