"Let it go, let it goooooo"
Je parle souvent de « lâcher prise », de prendre du recul, de moins se prendre la tête, de démystifier notre rôle d'éducateur. Pratiquer le « slow instruction » (je pensais avoir inventé un super jeu de mot avec ça mais le « slow parenting » existe en fait, et c'est bien l'idée). Au gré des échanges que j'ai eu ici ou ailleurs sur le sujet j'ai souvent des retours de personnes qui m'avouent qu'elles pensent que c'est essentiel mais qu'elles n'y arrivent pas vraiment.
Si
bien que, même si ça me semble bizarre, je me suis attelée à
écrire un article sur les points qui me semblent primordiaux si l'on
veut pouvoir accéder à ce fameux « lâcher prise ».
Alors je préfère prévenir pour éviter cette fois tout malentendu,
j'écris un article générique, certes, mais non, il n'a pas
vocation à diffuser pour moi une voie royale à laquelle personne
n'a le droit de déroger. Ce sont juste, comme tout ce que je partage
ici, des éléments de réflexion qui pourraient vous aider parce
qu'ils m'ont aidé.
Je
précise aussi que j'entends parler du lâcher prise au niveau de
« l'instruction » pas de « l'éducation » à
proprement dite. On peut lâcher prise sur l'éducation aussi mais
c'est un autre sujet que je n'aborde pas ici.
L'observation
de l'enfant : avoir conscience
C'est
la base.
Déjà
parce que, se mettre en position d'observation fine de l'enfant, ça
vous force à lever le pied : on ne peut pas être en train de
faire quelque chose et d'observer son enfant. Donc forcément on lève
le pied et forcément on se met en retrait, le lâcher prise est
induit.
C'est
un conseil que l'on donne souvent dans les formations
professionnelles de tout bord : malgré la sensation d'urgence
permanente que l'on ressent, prendre le temps de se poser pour
observer c'est faire moins de choses, moins vite, mais mieux.
Cette capacité à observer on peut la nourrir par la conscience et l'information que nous ont transmis d'autres observateurs avisés (ex : « L'esprit absorbant » de Maria montessori, « Au coeur des émotions de l'enfant » d'Isabelle Filliozat et bien d'autres).
D'ailleurs
cette conscience elle sert aussi la pratique des pédagogies
alternatives à la maison. Utiliser du matériel montessorien sans
avoir lu un seul livres de Maria Montessori, je continue de trouver
ça dommage. Parce qu'on peut faire tout un cycle de progression avec
le matériel que l'on peut posséder en intégralité, en sachant
exactement comment on l'utilise et dans quel ordre, mais si on a pas
compris la raison profonde, la conscience et l'observation qui sont à
l’origine de la création de ce matériel, à partir du moment où
il va nous manquer un élément on va se retrouver bloqué. Dans le
cas contraire, on peut rebondir plus facilement et même proposer nos
propres outils ou hacker ou revisiter ceux qui existent en gardant
l'idée d'origine. Ou simplement savoir saisir l'instant inopiné qui
arrive au même résultat sans que l'on ait rien préparé.
L'observation
permet de considérer :
-
ce qui intéresse ou pas l'enfant
-
ce qu'il est en mesure de faire ou pas
-
et de croiser les deux.
Parce
qu'on peut très bien se rendre compte que notre enfant a du mal à
faire telle ou telle chose… tout simplement parce que ça ne
l'intéresse pas. Du coup au lieu de mettre les bouchées doubles et
d'insister, le mieux est peut-être de lever le pied ou de reporter
cette transmission à plus tard.
Observer
son enfant c'est aussi entendre ce que l'enfant a à dire qui peut ne
pas correspondre à ce qu'on s'imagine. Et bien souvent, ce dont son
enfant a besoin/envie ce n'est pas de la énième séance de pâte à
modeler-argile-collage avec maman mais d'une séance de foot avec
papa.
Si
on s'en réfère à ce que l'enfant demande, du haut de ma petite
expérience, c'est souvent beaucoup plus simple que ce que, nous, on
essaye de leur proposer.
Et
chose importante ça permet aussi de constater tout ce que l'enfant
ne demande PAS.
Je
me suis rendue compte d'une chose c'est qu'à l'âge de Minimog (3
ans), les enfants sont assez monomaniaques et c'est une
monomaniaquerie qui semble durer assez longtemps de ce que j'en
observe chez les autres (jusque vers 5 ans je dirais… Arrêtez moi
si je me fourvoie). Ils sont capables d'écouter la même chanson en
boucle toute la journée et de vous réclamer la même histoire tous
les soirs et de faire le même puzzle pendant des semaines.
J'ai
donc réalisé que sa façon de faire c'est de faire 1 truc,
mais à fond. En somme, elle apprend, en profondeur. Si bien que
meuah, en voulant ajouter de la variété là dedans parce que meuah
je trouve cela essentiel parce que meuah en tant qu'adulte je me
lasse plus vite, je prends le risque de complètement parasiter sa
démarche personnelle qui vise à faire moins de choses mais à les
faire à fond.
Avec
le recul, je dirais que, depuis qu'elle est en âge de demander les
choses qu'elle désire, environ 95 % du matériel et des jeux
que j'ai à la maison, je l'ai acquis sans quelle me le demande.
Juste parce que j'étais persuadée que ça il FALLAIT l'avoir.
Exercice
à faire : se poser pendant une journée et se focaliser sur
tout ce que l'enfant fait et non pas de tout ce qu'il ne fait
pas. Cela permet de se rendre compte de tous les apprentissages
qui émergent du quotidien. Ça ne veut pas dire chercher à
insuffler du pédagogique dans tout ce qu'on fait avec eux. Mais
valoriser tous ce que l'enfant apprend et fait sans que l'on ait
impulsé quoique ce soit.
Exemple :
écosser des petits pois. C'est une blagounette que j'avais sorti en
privé avec Charlie en disant que si je poste « Aujourd'hui,
nous avons écossé des petits pois avec ma fille », tout le
monde s'en fout. Mais si je poste « Aujourd'hui, formidable
activité partagée
avec ma fille : écosser des petits pois ! Un excellent
exercice de motricité fine doublé d'une chouette expérience
sensorielle qui nous a occupé pendant 20 minutes. Quel
joie de partager ce moment autour de la nourriture saine
et naturelle. Et comme on ne perd pas une occasion, le
vocabulaire adéquat aura été utilisé et zou, les
épluchures au compost, pour faire naître une conscience
écologique et citoyenne ! ». Là j'ai 20 parents qui
vont vouloir acheter des petits pois en cosse.
Pourtant
c'est la même activité dans les deux cas. Et il peut se passer
absolument tout ce qui est décrit dans le deuxième cas, sans qu'on
ait besoin de forcer quoique ce soit, simplement en ayant conscience
que c'est ce qui est en train d'arriver.
Et
il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas que les compétences et les
connaissances qui s'acquièrent. Il y a aussi des petites choses
hyper importantes dans la vie qui s'acquiert et qui s’appellent des
valeurs.
Quand
mon homme et moi travaillons au jardin, ma fille n'est pas toujours à
nos côtés en train de bêcher où de s'intéresser à la vie du sol
ou de regarder les plantes pousser. Le plus souvent elle joue avec sa
pelle dans un tas de terre, joue à la dînette ou à la vendeuse de
pizza dans sa cabane (des jeux de base quoi!), ou carrément,
elle rentre à la maison faire autre chose. Mais par contre elle
s'expose à l'apprentissage permanent et passif de ce que nous
faisons à côté et qui va rentrer dans son bagage de valeurs parce
que ce que nous faisons, même sans qu'elle y participe activement,
elle en est imprégnée.
Si
je passe mon après-midi à organiser des activités à la maison, ou
même au jardin, je passe à côté de tout ce qui l'imprègne quand
je fais juste ce dont j'ai besoin pour suivre mon chemin personnel.
Prendre
son temps
Il
faut laisser le temps aux enfants et ne pas attendre de résultats.
Et ça, c'est difficile, car nous sommes toujours dans la culture du
résultat.
Je
vais encore me faire taper sur les doigts mais je suis intimement
convaincue que même lorsqu'on fait une invitation avec du matériel
libre en se disant que seule la démarche compte, toussa, au fond on
espère quand même qu'un truc épatant va en sortir. C'est humain,
et c'est coriace. Moi je me fais souvent piéger en tous cas.
Il
faut aussi laisser le temps aux enfants d'aller vers les choses
nouvelles. Quand je vous parle de Minimog au jardin : le
jardinage et surtout voir ses parents œuvrer autant au jardin dans
le cadre d'un vrai projet, c'est nouveau pour elle. Nous avions un
lopin de terre avant mais qui était peu exploitable et exploité. Il
faut lui laisser le temps de découvrir. Les coups de pelle « pour
rien » dans la terre, recueillir tous les vers de terre
possibles pour les mettre ailleurs et faire des goûters pique-niques
avec sa dînette c'est une façon d'entrer dans l’univers du
jardin. Et sans cesse je refrène mon envie de la voir s'extasier
devant le cycle de floraison ou demander le nom des plantes ou
apprendre la morphologie et la reproduction d'une fleur. Ça viendra
en son temps. Ou pas d'ailleurs. Ou ça viendra mais pas de moi. Il
se peut qu'un jour elle me demande si ce sont bien les pistils de cet
iris qu'elle voit et je ne saurais même pas d'où elle le sort.
Simplement ça aura fait son chemin en elle et elle aura été
chercher la réponse ailleurs.
Et
si vous êtes très portés sur l'instruction par les activités,
c'est aussi ne pas être déçu quand un bambin de 18 mois ne
s’intéresse pas aux plateaux de verser de graines que vous avez
préparé avec amour parce que vous avez découvert Montessori il y a
2 semaines et que votre enthousiasme n'a pas contaminé votre enfant
dès la première seconde en se disant que c'est foutu (ça c'est du
vécu >p). 18 mois… no stress !
Encore
une fois, ne pas confondre pouvoir faire et vouloir faire. En
pédagogie Montessori un enfant peut commencer à apprendre à lire
bien avant 6 ans. N'empêche que de tous les retours d'unschooling
que j'ai pu voir, bon nombre d'enfants, si on les laisse faire,
s'initient à la lecture après 7 ans. Juste parce qu'avant, ils n'en
voyaient pas l'utilité.
Exercice
à faire : évaluer le rapport de l'enfant à un sujet donné
auquel il est exposé souvent sur un mois ou même plusieurs et voir
comment les choses évoluent. Vous seriez surpris de voir les micro
changements qui s'amorcent mais qui font avancer quand nous sommes
obnubilés par l'absence de déclic éclatant et immédiat.
Avoir
confiance.
Vous
n'avez pas confiance en vous ? Ça tombe bien, lâcher prise ne
vous demande pas d'avoir confiance en vous mais en vos enfants. Ça
en général, on y arrive plus facilement. Et plus on observe, plus
on devient conscient, plus on devient confiant (y a une connexion
logique entre mes points, z'avez vu?).
Dites
vous aussi que, quoiqu'il arrive, l'avenir de nos enfants ne repose
pas sur nos seules épaules. Mais vraiment.
Déjà
leur avenir leur appartient, dès le départ, nous on est
« juste » là pour aider. C'est un rôle important parce
que le monde qui est le notre va tout faire pour les persuader que
leur avenir ce sont les autres qui en décident et puis après,
qu'ils n'ont pas le choix. Donc avoir confiance en eux c'est je
crois, un des plus cadeaux que l'on peut faire à nos enfants.
Avoir confiance dans les autres aussi, c'est important, même si c'est plus dur. Leur parcours dans la vie sera fait de rencontres. On ne pourra jamais
à nous seules, remplacer ce que peut leur offrir « le vaste
monde ». Donc ce n'est pas la peine de regretter sans cesse de
ne pas pouvoir le faire.
Faire
au mieux, être soi-même et leur permettre d'être eux-mêmes :
ça suffit. Le reste, c'est du bonus.
Exercice
à faire : sur un temps d'observation (une semaine, deux,
trois) faites la liste de tout ce que votre enfant a appris sans que
vous ne lui ayez rien enseigné ni même impulsé. Le listing de toutes les questions,
recherches spontanées, projets peut-être qu'il a amorcé par
lui-même. De tous les « entraînements » qu'il s'est
imposé tout seul. Je gage que vous serez convaincue de sa capacité
à s'ouvrir au monde et à grandir de l'intérieur.
Et se sortir de la tête que tout doit être positif ! Se planter c'est apprendre, souffrir c'est se renforcer, traverser une épreuve c'est grandir, s'ennuyer c'est devenir créatif, s'opposer c'est s'affirmer, reculer c'est se ressourcer. Notre rôle consiste à les protéger de choses qui pourraient pourrir toute leur vie (enfin notre rôle c'est d'essayer). Mais les protéger de leur doute, de l'ennui, des bobos, de l'échec c'est les protéger de la vie.
Pour moi, lâcher
prise ne veut pas dire ne rien faire, ni ne rien proposer. Encore une fois, un enfant mis dans une boite vide n'apprend rien. C'est simplement une
façon de relativiser notre rôle dans l'éveil de nos enfants.
Personnellement,
j'ai pris conscience que tout ne dépend pas de moi et que avoir
confiance, se mettre à l'écoute, observer, lever les barrières
et lui offrir un environnement de qualité, c'est là mon rôle. Pour moi, replacer l'enfant au centre de ma
vision éducative ça veut dire replacer mes enfants, comme
ils sont, en faire le départ de tout et leur laisser les rennes de
leur cheminement (même si ça passe par la Reine-des-neiges-mania, oui !). Ça ne veut pas dire suivre un programme que je
m'invente pour eux et m'angoisser quand je sens que je n'en fais pas
assez.
Hum, un article que je reviendrai lire afin de m'en imprégner davantage car y a matière à ...
RépondreSupprimerQuoi qu'il en soit, j'ai ADORE le passage sur les petits pois ;-)
Encore un article qui correspond tout à fait à mes réflexions actuelles !
RépondreSupprimerJe me suis d'ailleurs permise de mettre un lien vers ton site sur mon article.
N'hésite pas à me le dire si ça t'ennuie.
aucun souci, au contraire, je suis ravie de venir ajouter mon petit cailloux à ton chemin. Je suis allée lire ton article du coup et je me retrouve dans l'expérience du jardin. Je trouve d'ailleurs que quand on laisse l'enfant venir de lui-même c'est encore plus fort parce qu'on sait que là, il est présent pour de vrai.
SupprimerC'est exactement ça :)
RépondreSupprimerLâcher prise ouiiiiiii !!! Même pour nous personnellement !!!!
RépondreSupprimerÇa cogite beaucoup en moi quand tu dis que l'important n'est pas d'avoir confiance en nous mais en nos enfants ...