Desfois j'me dis...

"I'm not like them
But I can pretend
The sun is gone,
I have a light
The day is done,
I'm having fun
I think I'm dumb
Or maybe just happy"

Dumb, Nirvana

Desfois j'me dis que j'ai un grain.

J'ai 33 ans, je suis mariée, j'ai deux très beaux enfants, deux très beaux chats depuis hier, une maison dont je suis propriétaire, avec un terrain immense, j'ai un job archi-stable, qui ne m’intéresse pas du tout mais où je me rends avec le sourire parce qu'il n'est pas envahissant, confortable, les collègues et la hiérarchie sont sympa, j'y occupe un poste de responsable d'équipe et sans être astronomique mon salaire est de loin le plus intéressant que j'ai jamais touché.

Au yeux de la société, j'ai réussi.

Ma naissance d'enfant intelligente et scolairement adaptée dans une famille d'enseignants et de cadres moyens m'a amené exactement là où j'étais censée être et après des années de galère : vie de famille, salaire, travail, j'ai bon partout.

En ce moment mes seules préoccupations devraient être de penser aux travaux à faire dans ma maison, à l'achat d'un trampoline pour mettre dans le jardin et à nos prochaines vacances. Je devrais être en train de bûcher sur les prochains concours qui devraient me permettre sans trop de souci de monter les échelons et de gagner encore plus d'argent et d'avoir un poste encore plus à responsabilité pendant que mes enfants iront à l'école 5 jours sur 7. Peut-être une "bonne" école privée où ils pourront suivre un cursus qui les mènera aux plus hautes études vu qu'ils sont nés dans un milieu culturellement assez élevé bien qu'un peu baba cool sur les bords. Je devrais dépenser mon argent en restaurant, chez Ikea ou chez Desigual et lorgner sur le modèle de Mini Austin qui remplacerait avantageusement ma bonne vieille Clio 2.

Au yeux de la société, ma vie devrait ressembler à ça.

Mais au lieu de ça, j'ai pris un temps partiel et mon porte-monnaie a pris une claque. Je ne passe aucun concours parce que je ne suis pas sûre de vouloir vraiment rester là où je suis et je me suis lancée dans une espèce de croisade utopique en espérant pouvoir monter une école démocratique accessible à tous types de parents, même aux bas revenus.  

Si j'avais fermé les yeux sur les travers de l'instruction classique, je serais en train de savourer mon confort de vie ou, comme tant d'autres, me vautrer dedans en râlant à fendre l'âme dès qu'un problème superficiel pointe le bout de son nez.

Mais non.

Aux yeux de beaucoup de gens, quand j'en parle, je suis cinglée. Gentillement cinglée mais cinglée quand même et... ils ne me comprennent pas. Comment je peux tourner le dos à cette vie sensée pour des motifs aussi abracadabrantesques et utopiques que les miens ??

Au fond ils ont raison. Je suis un peu barge en fait.

Pourquoi tout ça ? Pourquoi me prendre autant la tête ? Pourquoi dépenser tant d'énergie dans des idées aussi folles et difficiles à mettre en place ? Ce serait tellement plus simple d'ignorer tout ça et de rentrer dans le moule en y emmenant mes enfants. Il m'arrive parfois d'y penser dans mon lit et de presque regretter toute cette conscience qui m'est tombée dessus. Pourquoi ?

Parce que c'est important.

Et parce que cette conscience, je ne pourrais jamais plus l'ignorer ni la faire taire.

Et quand j'en parle, tous finissent par me dire la même chose. "Mais t'as l'air heureuse en fait !".

Et je crois que oui. Je crois d'ailleurs que je suis plus sincèrement et viscéralement heureuse que bien des gens. Parce qu'en fait, en refusant cette vie facile je suis restée dans l'enthousiasme, dans l'espoir, dans l'envie, dans le mouvement, dans la découverte plutôt que d'être dans le confort, la satisfaction et l'immobilisme.

Et si ça ne donne jamais rien tant pis. Si ça s'arrête demain qu'importe. Le chemin aura été beau, enrichissant et j'en retirerai quelque chose.

Desfois j'me dis que j'ai pas un grain. J'ai une graine, et d'oser la faire pousser est la clé d'un bonheur que trop de gens qui ont réussi ne connaissent pas.