"Tout vient à point à qui sait attendre"
Clément Marot.
Cela fait looooongtemps que j'avais cet article en tête, mais il m'a fallu du temps pour l'écrire, voire pour le publier.
D'une
part parce que j'imagine que c'est encore le type d'article qui jette
un pavé dans la mare, or il faut se sentir près pour jeter des
pavés. Assez sûr(e) de ce que l'on dit, assez sûr(e) de ses
convictions et assez serein(e) pour encaisser les éventuelles
éclaboussures.
D'autre
part car j'aborde des sujets « à problème », y compris
pour moi, et qu'il a fallu que chez moi, les problèmes en question
se tassent et que j'aille au bout de ma démarche. Quand c'était
trop frais ou carrément d'actualité, en parler ici n'était juste
pas possible.
Enfin
parce que pour une fois, je me suis nourrie d'assez peu de lectures
sur le sujet (comprenez – pas du tout) pour appuyer mes propos avec
une caution « scientifique ». Du coup je porte sur mes
frêles épaules le poids de mes convictions.
Convictions
que certain(e)s ne partageront pas, je le conçois, il s'agit bien
sûr d'apporter des éléments qui viendront nourrir la réflexion de
chacun à des degrés différents et certainement pas d'essayer
d'imposer une marche à suivre.
Bref,
je me lance.
Après
cette incartade introductive, je me dois d'abord d'expliquer mon
sujet. Il est une phrase très connue de Maria Montessori, que j'aime
beaucoup : « L'enfant n'est pas un vase que l'on remplit
mais une source que l'on laisse jaillir ». En parlant de
l'enfant, elle évoque d'une très belle façon la position du parent
(ou de l'enseignant) qui, dans les pédagogies alternatives,
se considère comme un accompagnant et non comme un modeleur.
Finalement
ce qui est vrai en matière d'instruction de l'enfant, me semble
également vrai en matière d'éveil pour le bébé et le bambin. Et
au final, j'ai - parfois même sans le savoir - appliqué cette
maxime dans 4 domaines importants, pour lesquels, aujourd’hui, je
ne vois pas en quoi je suis censée apprendre quelque chose à
mon enfant : marcher, manger, faire pipi sans couche et dormir.
Ces
4 domaines sont de grandes sources de problèmes au sein de
nombreuses familles, et ma réflexion fut un jour que : mais
enfin, ça ne devrait pas ! Ça ne devrait pas parce ce sont des
choses que nécessairement, votre enfant finira par faire. Ce
sont des choses que tous les enfants de l’histoire de l'humanité,
quelques soient la période, la culture ou les moyens font. Un jour
ils marchent, ils dorment, ils mangent et ils ne se font pas caca
dessus indéfiniment.
Culture
contre nature, culture contre-nature
Alors
pourquoi ? C'est ici qu'intervient mon opposition
culture/nature. Cette idée m'est venue d'une maman lors d'une
discussion via un autre réseau qui soutenait que l'on devait
apprendre aux enfants à manger sous prétexte que sinon ils
mangent n'importe quoi. Ce qui est pour moi deux choses différentes.
De
manière générale, et pour les 4 domaines précités, je pense que
ce que nous souhaitons inculquer à nos enfant tient du culturel.
Apprendre à nos enfants à manger est différent de leur apprendre à
manger équilibré, apprendre à dormir à certaines heures est
différent d'apprendre à dormir tout court. Naturellement, un enfant
mangera, mais lui apprendre à « bien manger » est
éminemment culturel. D'autant que la notion de « bien manger »
est dépendante de la culture de chacun : du contenu de
l'assiette à la façon de manger ou de se tenir à table. Manger par
terre serait inconvenant chez nous, c'est pourtant la norme dans
d'autres cultures. Pour ma part je rigole toujours quand des
personnes qui mangent de la viande à chaque repas et picorent
quelques légumes en boite, au risque d’accroître leur cholestérol
ou leur problèmes cardiaques, me demandent si je n'ai pas peur que
mon régime végétarien ne me provoque des "carences".
Ça
l'est d'autant plus que c'est notre culture qui a fabriqué les
bonbons, la mayonnaise, le chocolat, les chewing-gum, etc. Dans la
nature, vous remarquerez que l'on ne trouve que des aliments sains,
qui ne portent en eux-mêmes aucun risque de caries, de cholestérols
ou de surpoids.
D'ailleurs,
quand je dis « culture contre nature », comprenez aussi
culture « contre-nature ». Parce que nos modes de vie
sont basés sur les impératifs économiques de notre société de
consommation, pas seulement sur nos besoins humains, et les mamans
n'ont pas la possibilité dans cette société de mettre ces
impératifs entre parenthèse pour s'adapter aux besoins de leurs
enfants (même en restant à la maison) sans en payer les
conséquences (stress, fatigue, énervement, solitude,
découragement). Nous en venons à vouloir que nos enfants
s'adaptent à ce même rythme de vie le plus tôt possible, parce
qu'il nous en coûte qu'ils ne le fassent pas. Mais un enfant n'est
pas un adulte : il n'a pas les mêmes impératifs
physiologiques, pas la même perception du monde et entre le moment
où l'enfant sort du ventre de sa mère où il était nourri,
réchauffé, bercé quand de besoin et son adaptation à la vie
moderne, il y a un cheminement, qui prend plus que 3 mois.
Et
la question est : ces adaptations que nous attendons d'eux,
est-ce toujours un mieux pour eux ? Pas dans le sens où il faut
à tout pris éviter de contrarier nos chérubins mais dans le sens :
cela est-il un + dans leur vie ?
Or,
je constate que nombre de parents ne font plus cette distinction. Si
leur enfant s'endort tard ce n'est pas normal, s'il ne marche
qu'à 18 mois ce n'est pas normal, si il fait pipi au lit à 7
ans ce n'est pas normal. Et ça devient une source de
problème, de doute, d 'angoisse, et de conflit.
À
qui appartient le problème ?
Voilà
bien une question (tirée de mes lectures de
Thomas Gordon) que
l'on devrait se poser beaucoup plus souvent concernant nos enfants !
Pour
quelle raison sommes nous si pressés que nos enfants fassent leur
nuit, marchent, fassent pipi au WC, mangent proprement ? C'est
parce que ça nous arrange - et il n'y a pas de mal à cela
mais - le problème nous appartient donc à nous, et pas à eux
(« pourquoi tu me fais ça ? ») C'est donc
nous qui avons un problème à résoudre, pas eux.
Pourquoi
est-ce important de faire ces distinctions ?
À
mes yeux en tous cas :
-
réduction de votre stress et du stress de l'enfant :
On
s’énerve quand même beaucoup moins lorsque l'on a pas
l’impression de buter sur quelque chose qui ne fonctionne pas et
lorsque l'on ne voit pas une situation donnée sous un angle
conflictuel. Relativiser ne règle pas tout mais on vit beaucoup
mieux les soucis quand on a pas ce sentiment « qu'il fait tout
pour vous nuire », quand on peut se dire « ça viendra »,
que non ce n'est pas « anormal ». Et forcément, vous
renvoyez moins ce stress sur votre enfant, et toute la famille ne
s'en porte que mieux.
-
réduction de la dépréciation de chacun
Quand
on se fixe une norme (que votre enfant a de grandes chances de ne pas
suivre, au moins sur certains points), il y a forcément quelqu'un
qui « fait mal » : soit c'est vous, soit c'est lui,
parfois les deux. Ça ne fonctionne pas comme vous l'espériez, vous
n'arrivez pas à « modeler » votre enfant comme vous le
souhaiteriez ? En général, si ce n'est pas vous-même, ce sont
les autres qui se chargent de vous déprécier. Votre mère n'a pas
eu tant de problème pour faire manger ses 4 enfants alors pourquoi
avec deux vous n'y arrivez pas ? Votre voisine a fait « comme
ça » pour faire dormir son fils et ça fonctionnait très
bien. Votre conjoint vous accuse d'être trop laxiste parce que faire
pipi au lit à 5 ans c'est anormal. Vous avez le sentiment que chez
les autres ça marche bien et pas chez vous, etc. Ou alors c'est
votre enfant : « Mais enfin à 18 mois tous les
enfants marchent, pourquoi il reste à 4 pattes ? Que vont
penser les gens ? Ce n'est pas normal !
Il est en
retard
!». Etc, etc, etc.
Et
pourtant, le fait que certains enfants soient propres à l'âge d'un
an veut-il dire que tous les enfants sont aptes à faire de même au
même âge ? Quand on constate les différences qui existent
entre les enfants d'un même âge en terme de motricité, de
personnalité, de langage, on peut largement en déduire qu'il n'y a
pas de règle. La vie n'est pas une course ni une compétition.
L'important c'est que chacun trouve sa voie, à son rythme. Les
« Allez, comme une grande », « Regarde ton copain
il le fait lui », « Mais enfin tu veux me faire
sortir de mes gonds ! » n'arrangerons rien. Votre enfant
risque surtout de se sentir humilié et nul. Ce faisant vous faites
un transfert de problème : c'était votre problème, ça
devient le sien. Et dorénavant, le voilà obligé d'avancer avec sur
ses épaules le poids du « je ne fais pas comme il faut ».
Quant
à vous : est-ce mal faire que de faire confiance à votre
enfant et de respecter ses besoins sans se soucier du qu'en
dira-t-on ? Plutôt que de vous voir comme des parents laxistes
et incompétents qui ne savent pas gérer leur(s) enfant(s), je vous
propose de vous voir comme des parents courageux et généreux, qui
font de leur mieux et qui restent à l'écoute de leur(s) enfant(s).
-
la nature fait bien les choses, la contrecarrer, c'est souvent faire
moins bien
Je
prends un exemple flagrant : la marche. L'importance de laisser
l'enfant apprendre seul, j'en ai déjà parlé dans mon article sur
la motricité libre.
C'est
d'ailleurs un des concepts qui m'a ouvert les yeux sur le fait que
l'on se sente obligés d'intervenir avec des méthodes tous azimuts
sur un tas de choses où l'enfant peut se débrouiller tout seul.
Sans parler des dangers (avérés) du youpala pour la sécurité et
la morphologie des enfants, je me demande maintenant : à quoi
ça sert ?
Quel
est l’intérêt de vouloir faire marcher un enfant avant qu'il ne
le fasse lui-même ?
Avant
je ne m'étais jamais posé cette question : les youpalas et les
trotteurs ça existe, donc ça sert. Oui mais non en fait, ça sert
surtout à faire vendre. Et aujourd'hui je trouve ça absurde. Quel
est le bénéfice ? L'enfant marchera un jour (hors handicap
particulier) alors pourquoi le mettre dans un engin censé stimuler
son apprentissage ? Le résultat sera surtout de mauvais appuis,
des problèmes de dos, un impact sur la construction osseuse de
l'enfant, des chutes à répétition, et un enfant qui mesure bien
moins le danger lors de ses explorations.
Et
quand bien même l'enfant apprendrait à marcher plus vite avec le
youpala (en considérant que ce soit bien grâce
au youpala) : et alors ? Il aura une médaille, ça
l'aidera à être plus heureux dans sa vie ? Non.
Et
n'en déplaise à certains pédiatres : laisser un bébé manger
un légume frais, encore gorgé de vitamines et plein de son vrai
goût (enfin autant que peuvent l'être les légumes du 21ème
siècle...sic) sera toujours plus sain que n'importe quelle purée,
même faite maison.
Et
le respect du parent dans tout ça ?
Je
vous propose déjà, de considérer la chose avec recul :
Est-ce
que ce que j’attends de lui/elle tient du domaine naturel ou
culturel
Les
attentes que j'ai vis à vis de mon enfant sont-elles justes et
justifiées ?
La
façon de faire de mon enfant pose-t-elle réellement problème ou
est-ce parce que je refuse de faire des concessions ou parce que ça
sort de mon cadre de référence ?
Est-ce
que ça me porte réellement préjudice ?
Déjà
si vous faites ce tri, la liste de vos problèmes pourrait bien
diminuer, et pas qu'un peu.
Je
vous propose de retirer d'emblée :
-
les questions de vitesse d'apprentissage : il est en avance / il est
en retard = BULLSHIT !
-
les jugements de l'extérieur concernant des méthodes qui font
consensus au sein de votre famille.
Je vous propose au contraire, de reprendre votre liberté en famille
: liberté pour vos enfants, et liberté pour vous.
Reprendre le droit de trouver vos
propres solutions, même si elles ne conviennent pas aux médecins,
aux voisins, à la famille. Rappelez-vous que nous vivons dans
une société où si vous giflez votre enfant vous recevrez des
hochements de tête entendus parce que c'est normal,
mais si vous laissez votre enfant s'habiller comme il l'entend au
risque qu'il sorte des codes vestimentaires en vigueur vous êtes une
mère à la ramasse. Je dis ça, je dis rien...
Ensuite,
quelles solutions sont facilement à votre portée ?
Par
exemple : si vos enfants mangent plein de bonbons entre les
repas et refusent de s'alimenter à table, évidemment on ne va pas le
laisser faire sous prétexte de respecter leurs envies, mais vous
pouvez supprimer les bonbons à la maison, ou bien au moins les
rationner : une tablette de chocolat par mois, pas plus. Parfois
la solution est sous notre nez, mais l'énervement et le sentiment
d'échec nous laisse la tête dans le guidon et nous n'arrivons
simplement pas à nous extraire de nos habitudes pour penser les
choses avec discernement.
Vous
restent alors les problèmes... Qui posent vraiment problème.
J'en
vois principalement 2 :
-
le conflit avec le conjoint
-
les « pompeurs d'énergie » : fatigue, stress, etc.
A
chacun de trouver ses solutions pour arriver à un consensus, je me
garderai bien d'en donner ici, mais comme je l'ai dit plus haut :
lorsque l'on sait que ça ne durera pas éternellement, que c'est un
cheminement pour elle/lui, et pour vous,
que personne dans cette famille n'est un incapable, en général on
le vit mieux. Il n'est jamais question de s'oublier dans notre
relation à nos enfants, mais de chercher des solutions en conscience
change la donne.
Je
prendrais pour exemple un des éléments les plus sensibles en la
matière : le sommeil. Nous ne sommes pas toutes logées à la
même enseigne en la matière et j'affirme que pour moi : NON,
il n'est pas toujours possible à l'aide de méthodes
« infaillibles » de réguler le sommeil de nos enfants
avant qu'ils ne soient prêts. Or, le manque de sommeil est un fléau.
Vous aurez beau essayer d'être la meilleure mère du monde, sans
possibilité de ressourcer vos batteries, la vie devient un enfer.
Une amie dont je vous partage le témoignage un peu plus loin me
rappelait que le manque de sommeil, on peut en mourir. C'est dire
l'importance que ça a.
Là
où s'opère le changement, quand on rencontre ce genre de situation,
c'est de ne pas nourrir de rancœur à l'encontre de votre enfant ou
de vous-mêmes, et de ne pas ajouter des ondes négatives dans une
situation déjà bien difficile.
Idem
si vous avez deux enfants en bas âge et que vous aimeriez bien que
votre deux ans se passe de couches parce que vous avez l'impression
qu'en votre 6 mois et lui, vous passez votre temps à ça.
Idem
si votre enfant rechigne à manger ce que vous avez mis du temps à
préparer pour lui, etc.
Quant
au conjoint récalcitrant....... Faites lui lire cet article !
^_^ Et si vous arrivez à le faire changer d'avis revenez me le dire,
hein ?
Blague
à part, prenez le temps d'en parler, d'entendre ses craintes, de les
respecter, et d'y répondre. Demandez-lui de l'aide. Et je pense que
vous avez le droit de lui rappeler toute l'énergie que vous donnez,
que parfois vous sacrifiez à vos enfants et que vous avez besoin de
son soutien. Que votre famille ne se portera que mieux si vous êtes
l'un pour l'autre une source d'énergie positive et pas de
rabaissement mutuel.
Quelques
lectures
J'ai
quand même retrouvé (de justesse avant de publier cet article)
quelques échos à mes réflexions dans le livre de Catherine
Dumonteil-Krémer « Une
nouvelle autorité sans punition ni fessée ».
Et
concernant l'alimentation, sans l'avoir lu moi-même, je me permets
tout de même de recommander « Mon
enfant ne mange pas » de Carlos Gonzalez, pour avoir lu cet
auteur sur un autre
ouvrage et pour les retours unanimement positifs que j'ai eu sur
ce livre qui semble largement rejoindre mon opinion.
(de
toutes façons, Carlos Gonzalez c'est un peu le grand partisan du
« cool Raoul, écoutez vos enfants, et tout se passera bien ».
^_^).
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